Laurent Gbagbo aux portes de l’Histoire

Raould D. Lebogo-Ndongo's photograph
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Les Français vénèrent Charles de Gaulle. Les Anglais glorifient Winston Churchill. Les Américains adulent Dwight Eisenhower. Les Chinois déifient Mao Tsé Toung. Les Sud-Africains possèdent en Nelson Mandela le repère de leur nation…

A ces figures historiques, nous pourrions ajouter Patrice Lumumba (Congo), Kwame N’Krumah (Ghana), Thomas Sankara (Burkina Faso) dont les puanteurs du néocolonialisme et de l’assujettissement des nouveaux dirigeants essaient de couvrir l’action de toutes sortes de déchets.

Et voici que depuis quelques jours, une autre figure africaine frappe à la porte de l’Histoire. Le visage est bien connu tellement il habite le devant de la scène politique. Depuis plus de trente ans, Laurent Gbagbo creuse son sillon. En s’opposant au premier président de la Côte-d’Ivoire, Félix Houphouët Boigny qui le jeta en prison, stage probatoire vers les sommets de l’Etat. En se lançant dans la bataille électorale pour la présidence de la République en l’an 2000. Une bataille dont il sut tirer profit de la confusion finale pour s’installer dans le fauteuil présidentiel – qu’il méritait largement.

Deux ans. Deux ans seulement après qu’il eût annoncé la couleur d’une action politique résolument en rupture avec l’ordre postcolonial existant, Gbagbo se trouve face à une « rébellion » venue du Nord et dont le faux-nez était Guillaume Soro. Une rébellion tellement puissante qu’elle parvient, pratiquement sans résistance, aux portes d’Abidjan. Elle est ralentie puis repoussée mais elle n’en occupe pas moins la moitié nord du pays. Commence alors le ballet des négociations, sanctionnées à chaque fois par des accords très vite remis en cause. La question de l’ivoirité – qui avait pollué l’air à la mort d’Houphouët Boigny – est de nouveau au cœur du débat politique ou plutôt de la lutte pour le pouvoir. Un homme cristallise alors les tensions : Alassane Dramane Ouattara. Ancien premier ministre d’Houphouët Boigny, ses concurrents politiques, principalement Bédié, lui dénient la nationalité ivoirienne et donc le droit de diriger l’Etat de Côte-d’Ivoire.

Au prix de contorsions politiques et de concessions de Laurent Gbagbo, les trois poids lourds (Gbagbo, Ouattara et Bédié) seront admis dans la bataille voire l’empoignade présidentielle. Après plusieurs reports, ce scrutin va se tenir en 2010. La hache de guerre qui avait été enterrée va être déterrée à la faveur de la crise consécutive aux résultats. La commission électorale déclare Ouattara vainqueur. L’Organisation des Nations Unies (ONU), qui supervise les opérations du scrutin, apporte sa caution à la Commission électorale. Gbagbo rejette ce résultat et est déclaré vainqueur par le Conseil Constitutionnel. Le feu qui couvait sous la cendre embrase à nouveau le pays. Une redistribution des cartes s’engage. Les enfants du néocolonialisme (Bédié et Ouattara) s’allient opportunément. Ils sont rejoints par leur porte-flingue Soro.

Soro qui était passée de la rébellion au gouvernement sous Gbagbo retrouve son mentor Ouattara. La bataille militaire reprend et prolonge la crise politique. Des milliers de morts sont comptés (un curieux procès se déroulent ces jours en Cote-d’Ivoire, avec un semblant d’accusé à la barre, appelé à porter le chapeau alors que les vrais responsables des carnages de Douékoué se la coulent douce). Tout se termine par l’appui des chars français qui défoncent la résidence où Gbagbo avait établi son camp de résistance. Il est pris et malmené devant les caméras du monde. Son épouse Simone subira le même traitement dégradant. Les sous-traitants ont fait le sale boulot. Le maître – la France – peut reprendre le contrôle de son domaine privé. Reste à assurer une sorte de service après-vente. Eloigner Gbagbo. Mais comment ? La « justice internationale » est mise à contribution. La Cour Pénale Internationale (CPI) entre en scène. Pour bien faire les choses, le Procureur de la CPI est une Africaine, de l’Ouest, Fatou Bensouda.

Mais, le monde est en mutation profonde. Bensouda va rassembler tous ouï-dire. Des années d’enquête. Et puis le procès. La Cour écoute. Et décide que les ouï-dire de la propagande occidentale ne constituent pas des preuves. Gbagbo et son compagnon de misère Blé Goudé sont acquittés, faute de preuve. La Fatou Bensouda va-t-elle lâcher ? Non. Elle poursuit son chemin de croix en appel. Cette fois, elle est ridiculisée à la lecture de la motivation de la décision de la Cour.

La « justice internationale », celle des maîtres du monde, n’a trouvé aucun pou dans les cheveux de Gbagbo. La justice de son pays lui en avait trouvé des centaines, au point de le condamner pendant qu’il était détenu à la Haye (CPI). Et qu’il ne pouvait nullement se défendre. Que va-t-il donc se passer ? Le manche à cogner du maître, le proconsul va-t-il s’obstiner là où le propriétaire du pays a lâché prise ?

L’Histoire tend les bras à Gbagbo. Elle l’attend en Côte-d’Ivoire. Pour qu’il reprenne le combat. Au service de son pays. Et de l’Afrique. Et non qu’il picore quelques grains dans la main de son bourreau Ouattara. Pour que l’enseignant d’histoire redevienne l’acteur principal de l’Histoire de la Libération de son pays. Et de son continent. Et qu’il entre lui aussi dans l’Histoire.

Alors, on dira que la Côte-d’Ivoire a Laurent Gbagbo comme boussole.

Quel pied de nez à l’heure où celui qui tirait les ficelles dans l’ombre en 2010 se bat, dans le déshonneur, avec la justice de sa chère France. Au moment aussi où la justice française, sous la pression des parties civiles françaises, cherchent les coupables dans le bombardement du camp français de Bouaké. Une affaire qui prend une tournure franco-française comique. L’Histoire a parfois de tels retournements…