Cardinal Tumi, plus grand couché que debout…

Un Baobab est donc tombé. Christian Cardinal Tumi a tiré sa révérence.

Raould D. Lebogo-Ndongo's photograph
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En cette circonstance triste de la disparition d’une autorité morale, j’écoute et je lis. Avec une pointe d’amusement… Que de regrets exprimés ! Que de témoignages poignants ! Que de larmes !

Cardinal Tumi nous écoute-t-il ? La Bible qu’il connaissait tant nous dit que les morts n’entendent plus. Il a achevé sa course. Il attend le jour du grand retour du Christ. Lorsque la trompette retentira…

Christian Tumi était un personnage atypique sur la scène camerounaise. Pas seulement du fait de son physique de lutteur. Anglophone de par ses origines, il pratiquait avec aisance le français. Et il avait le souci du mot juste dans cette autre de ses langues. Probablement qu’il savait de quel poids chacun de ses mots pesait.

Son statut de Cardinal en avait ajouté à sa stature physique. Et dans le marigot camerounais, il fallait maîtriser l’art de la nage en eau trouble. Ces vingt dernières années, surtout, Christian Tumi a pratiqué cet exercice, contraint et forcé par la nature de l’Homme. Et particulièrement celle de ses compatriotes.

Ma modeste carrière professionnelle m’a accordé le privilège de me trouver souvent sur le chemin de ce Géant. Je retiens quatre rencontres dont deux seulement ont eu des suites dans les publications de la Société de Presse et d’Editions du Cameroun (SOPECAM).

D’abord une interview à cœur ouvert avec le Cardinal dans le magazine Nyanga – oui, vous ne vous trompez pas ! Christian Tumi avait reçu mon confrère Emmanuel Tataw et moi en ses bureaux, à Douala, il y a une quinzaine d’années. Avec une simplicité déroutante. Avec ce petit sourire en coin qui rassurait autant qu’il déstabilisait son visiteur. Avait-il vraiment saisi l’objet de la demande d’interview que je lui avais adressée ? Il nous a très vite rassuré. Nous avons parlé pendant plus de trois heures. De l’homme. De son parcours scolaire et académique. De sa famille. De ses goûts culinaires. Des mœurs dans la société. Et bien sûr de la politique. De son verbe lent, il nous a enseigné l’humilité, la disponibilité. Il nous a ouvert des pages de sa vie…

Ensuite à Bafoussam. En préparation d’une visite du Pape au Cameroun – en 2007. Au regard de son programme chargé, des contraintes de production du numéro spécial en réalisation et du fait qu’il s’était retiré dans son village, j’ai dû me rendre à Bafoussam pour y attendre le Cardinal, inspiré par une confidence d’un de ses proches. Celui-ci devait participer à une rencontre des Evêques de la Province Episcopale du Littoral. J’avais subi quelques semaines avant une opération du genou. Me voyant sur des béquilles, il me demanda : « qu’est-ce qui s’est passé ? ». Il prit le temps de m’écouter lui raconter mes petites misères. Et de me souhaiter « Bonne guérison dans la prière ». Cette fois-ci encore, il prit le temps de se prêter à l’interview sollicitée. Et de s’interroger : « Les Camerounais mesurent-ils l’Amour de Dieu pour leur pays ? Un Pape vient au Cameroun pour la troisième fois… »

Dans un salon d’aéroport à Paris, je me suis installé à ses côtés, avec son aimable permission. Le Cameroun s’est à nouveau invité dans notre entretien. Ce jour-là, il me parla de l’opération Epervier. En résumé, il l’approuvait sans réserve mais émettait beaucoup de réserves sur l’objectif visé, le timing des interpellations et la qualité des mis en cause. Des mots qui, dans la bouche du Prince de l’Eglise catholique, étaient lourds de signification. Il souhaitait un grand nettoyage pour assainir la société et orienter les ressources ainsi préservées vers les personnes défavorisées et l’amélioration des conditions de vie du plus grande nombre.

L’assainissement de la gestion des finances publiques ? Un sujet qui lui était cher. Il ne comprenait pas que des personnes détournent autant d’argent alors que sous le mur de leurs somptueuses villas, leurs compatriotes vivent dans la misère. Cette situation l’avait amené à créer un Cercle de Réflexion sur d’Ethique, une véritable Ecole de la Morale publique. Avec assiduité et humilité, il y échangeait avec des hauts cadres de tous horizons. Des enseignements de haut niveau sur la gouvernance, sur l’éthique dans les affaires, sur la lutte contre la corruption, etc.

Christian Cardinal Tumi avait le Cameroun au cœur. Il souffrait de voir que son pays n’avançait pas au rythme qui aurait dû être le sien. Mais la solution est entre les mains de la société politique. Et c’est là que commençait le problème de Christian Tumi. Pour s’attaquer à ces maux, il faut que la société se lève. Et ça commence par des prises de position. Celles des autorités morales – dont Tumi était une particulièrement en vue – donnent du relief au débat politique. Un mot de Tumi et le pouvoir s’enflamme. Un autre mot de Tumi et l’opposition rue dans les brancards.

Il en était de même des questions purement politiques comme l’équilibre régional, le Code électoral ou la décentralisation. Du haut de ses près de deux mètres et plus de cent kilogrammes, Christian Tumi a donc dû marcher sur des œufs pendant des décennies. Un exercice auquel l’obligeait la VERITE qu’il avait vocation à prêcher par monts et vaux, à temps et à contretemps…

Il a tant et si bien prêcher la VERITE qu’il nous ramène à l’esprit cette devinette de l’époque de Mamadou Et Bineta : qui est plus haut assis que debout ? Réponse : le chien. Le Baobab Tumi est donc plus géant mort que du temps où il vivait parmi nous. Les morts ne parlent plus. Mais sa voix si douce va continuer de résonner dans nos oreilles, nous rappelant nos turpitudes. INLASSABLEMENT…