Cameroun, le 22 décembre 2020…

Ce 22 décembre 2020, la vie nationale a continué sur un rythme monotone. Rien de particulier alors ? RIEN. Et pourtant…

Raould D. Lebogo-Ndongo's photograph
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Ce 22 décembre 2020, le Président de la République n’a pas signé un de ces décrets de nomination qui change la vie d’un homme ou d’une femme. Il n’a point signé un décret créant un organisme public ou réorganisant une institution publique.

Ce 22 décembre 2020, aucune catastrophe naturelle n’est venue endeuiller notre cher et beau pays. Pas un accident de la circulation, du genre qui laisse sur l’asphalte des dizaines de morts, n’est à signaler. Pas une attaque des « rebelles ambazoniens» n’a fait irruption dans la vie publique. Même pas une « bombinette » dans une gare routière bondée en cette période ou sur le bord de la route dans un quartier populaire.

Ce 22 décembre 2020, la vie nationale a continué sur un rythme monotone. Rien de particulier alors ? RIEN. Et pourtant…

Les conseils régionaux, élus lors du scrutin du 6 décembre 2020, se sont réunis en session de plein droit. Et les choses sont allées très vite. Les exécutifs régionaux ont été élus. Certes, ce n’est pas la révolution dont on aurait pu rêver. Tsimi Evouna, Polycarpe Banlog, Mvé Elemva ne sont pas de nouvelles figures sur la scène politique. Ce sont même des personnages que certains – beaucoup ? – auraient poussé à la retraite. Les autres patrons des exécutifs régionaux sont un peu moins marqués que ces trois. Mais, là encore, rien de véritablement renversant qui puisse indiquer que la régionalisation marque un nouveau départ. Rien de très palpitant à se mettre sous la dent…

Pourtant, la mise en place des conseils régionaux marque un tournant dans la gestion de la vie politique, économique et sociale de notre pays. Le train de la décentralisation est – ENFIN ! – sur les rails. Il va quitter la gare où il semblait s’éterniser depuis un bon quart de siècle.

Si l’on ne s’intéresse qu’aux personnes qui ont pris les commandes ce 22 décembre 2020, on peut douter que ce train prenne de la vitesse et soit à la hauteur des attentes des Camerounais. Heureusement, ces personnalités n’auront pas le temps de prendre leurs marques. Elles doivent donner un contenu à la décentralisation. Et tout de suite…

Au-delà des considérations politiques et juridiques liées à la mise en place de l’architecture de la décentralisation – en particulier la dévolution des ressources humaines et surtout financières, au-delà de l’intégration des nouveaux responsables régionaux dans la vie sociale des régions – y compris les questions de préséance et de protocole, deux indicateurs permettront d’évaluer la décentralisation : la marche des régions anglophones du Cameroun et celle de l’Adamaoua.

Dans les deux régions anglophones, le débat semble avoir quitté la sphère des revendications  liées aux spécificités des systèmes éducatif et judiciaire pour dériver vers le fédéralisme voire la sécession. La mise en œuvre de la décentralisation va ramener le débat à sa véritable dimension. Comme toutes les populations du Cameroun, celles du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ne comprennent pas pourquoi la construction d’une salle de classe dans une école primaire dans un village doit relever de la décision d’un ministre. De même que la construction d’un centre de santé communautaire ou d’une traversée reliant deux villages et éviter aux populations un détour de dix kilomètres.

Les régions anglophones du Cameroun ont une longue et bénéfique expérience du Community Development. Le système colonial dans ces régions était basé sur le Indirect Rule. Celui-ci laissait aux communautés la gestion des affaires locales (développement de l’agriculture, commerce, gestion des établissements scolaires et des institutions de santé, etc.), alors que le colon s’occupait des affaires de sécurité, du trésor, de la justice et, bien sûr, des relations avec l’étranger. Pendant des dizaines d’années, ces populations ont appris à se prendre en mains. Jusqu’à ce que, progressivement, l’Etat fédéral puis l’Etat unitaire ne viennent mettre fin à ce système de gouvernance – décentralisée ou déconcentrée, les experts nous diront.

Malgré les groupes armés qui sèment la terreur dans ces deux régions, le travail des exécutifs devrait rapidement porter du fruit et afficher des résultats palpables. Des résultats qui changent et améliorent le quotidien des populations. La fusée va très vite décoller. Et montrera aux autres régions le chemin à suivre.

Quant au conseil régional de l’Adamaoua, sa marque de départ est d’être tenu par un parti politique autre que le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP). Que ce parti politique fasse partie de la majorité gouvernante depuis des dizaines d’années n’atténue en rien le challenge qui est le sien aujourd’hui. Il s’agit de montrer qu’un parti autre que celui du Président Paul Biya peut diriger le Cameroun. L’Adamaoua constitue à cet effet un laboratoire et un centre d’expérimentation. Ici aussi, les populations vont juger non plus les discours enflammés sur la gouvernance mais les réalisations sur le terrain.

Pas le temps donc de … prendre son temps. L’immensité du territoire, l’enclavement de certaines zones, la question de la scolarisation appellent déjà l’élaboration de politiques sectorielles mobilisatrices et porteuses de fruits… Ces derniers seront alors présentés comme la marque de l’UNDP.

Ce 22 décembre 2020 donc, la donne politique du Cameroun a changé. RADICALEMENT. Demain, un Président de conseil régional pourra se prévaloir de ses résultats dans son territoire pour solliciter un mandat national. Pour cela, ce qui va se passer dès maintenant dans les régions fera l’objet d’une observation attentive. D’abord des populations locales dont le pouvoir de contrôle devra s’exercer au quotidien. Mais aussi de l’ensemble des populations camerounaises qui vont pratiquer le jeu des comparaisons.

Les dix régions du Cameroun sont dès lors en compétition. Ce 22 décembre 2020 n’est donc pas un jour comme les autres, un jour ordinaire. Désormais, les yeux des populations ne seront plus uniquement  tournés vers le pouvoir central à Yaoundé auquel il est demandé non pas de garder le ballon (vision, stratégie et argent), mais de distribuer le jeu. Comme un bon meneur. L’échelon régional entre en jeu, pour assurer la finition, marquer des buts. C’est à travers son action d’impulsion et d’animation des affaires locales que les fameux indices de développement humains vont être mesurés aux quatre coins du pays. La santé maternelle et infantile, la disponibilité de l’eau potable ou de l’énergie électrique, le niveau de scolarisation et autres indicateurs vont apparaître dans les graphiques. Plus de place pour des discours à longueur de journée et de meeting.

La course est lancée. Ce n’est pas une épreuve de demi-fond encore moins un marathon. C’est une épreuve de vitesse, avec des haies à franchir, messieurs les élus du 22 décembre 2020.

A vos marques, prêts, partez !!!