Guillaume Soro, otage … libre

A deux semaines de l’élection présidentielle en Côte-d’Ivoire, Guillaume Soro est loin du terrain de la campagne électorale. Très loin même…

Raould D. Lebogo-Ndongo's photograph
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Le président-candidat ivoirien Alassane Ouattara a envoyé quelques fléchettes à Guillaume Soro, à l’occasion d’une visite : « Il y a un garçon irrespectueux enivré par l’argent qui prétend depuis Paris m’avoir installé au pouvoir grâce à la rébellion ». Une façon de souligner que le brave Guillaume n’est pas assez mûr pour le match qui se joue en ce moment en Côte-d’Ivoire. Et dire que Guillaume Soro Kibgafori pensait que son heure a sonné.

Guillaume Soro a donné de sa personne depuis 2002 lorsqu’une rébellion éclate en Côte-d’Ivoire contre le pouvoir du président Laurent Gbagbo. Il apparaît très rapidement comme le « visage » des rebelles. Ceux-ci installent un contre-pouvoir dans la moitié nord de la Côte-d’Ivoire. Mais, assez vite, Soro va apparaître comme le porte-flingue d’Alassane Ouattara, l’homme qui ne digérait pas d’avoir été victime du débat sur l’ivoirité et ainsi écarté de la présidentielle de 2000.

Dans le marigot ivoirien, le président Gbagbo va réussir à attirer Soro dans son camp. Il pense ainsi avoir affaibli le camp de ses adversaires en nommant Soro Premier ministre, au terme des multiples négociations et accords qui vont consacrer l’acceptation des candidatures de Ouattara et Bédié pour la présidentielle de 2010. Les données semblent claires lorsque les Ivoiriens vont au vote. D’un côté, une alliance Bédié-Ouattara, chacun s’engageant à soutenir le mieux placé à l’issue du premier tour. De l’autre le duo au pouvoir Gbagbo-Soro.

La crise post-électorale de 2010 va complètement redistribuer les cartes sur l’échiquier politique ivoirien. L’alliance Ouattara-Bédié est renforcée. Ouattara, déclaré finalement vainqueur de la présidentielle, promet à Bédié de lui faire la passe lors de la prochaine présidentielle. Mais, surtout, Soro a lâché Gbagbo et rallié le camp Ouattara-Bédié, face à la pression de la « communauté internationale » qui n’a jamais autant eu le visage de la France.

Soro achève en réalité sa mission. Il a servi. Il a fait le sale boulot de la rébellion. La « communauté internationale » qui éjecte Gbagbo du pouvoir et l’envoie en jugement à La Haye ne va pas se presser de seulement investiguer sur les nombreuses atrocités imputées aux rebelles. Au contraire, Soro peut même aspirer à une bonne récompense. Il deviendra président de l’Assemblée nationale. Mais, dans un coin de sa tête, c’est la présidence de la République qui scintille. Il y a donc du monde qui lorgne sur cette présidence. D’autant que, malgré tous ses efforts, la « communauté internationale » ne parvient pas à obtenir la condamnation de Laurent Gbagbo à La Haye.    

Dix ans après donc, la tension qui prévaut en ce début de campagne électorale en Côte-d’Ivoire amène à passer en revue la situation des acteurs majeurs de ce spectacle politique.

D’abord, Alassane Ouattara. Le président ivoirien est dans la bataille par la force des choses. Le candidat Amadou Gon Coulibaly qu’il avait choisi – pour continuer à tenir le pouvoir dans les coulisses ? –  est malheureusement décédé à quelque trois mois de l’élection présidentielle. Ouattara aurait pu désigner un autre candidat. Il a estimé que les délais étaient trop courts. Il a donc décidé de revenir dans le jeu. Pour la conquête d’un troisième mandat.

Ensuite Henri Konan Bédié. L’ancien président de la République veut revenir. Il pensait avoir fait le plus difficile en s’alliant à Ouattara et en pactisant avec la France pour déporter Gbagbo. Hélas ! En politique, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Bédié a beau ruer dans les brancards, Ouattara ne lui fera pas la passe. Le président en fonction menace même, par la voix de son Premier ministre Hamed Bakayoko, de traduire en justice « ceux qui appellent aux troubles ».

Pascal Affi Nguessan est assis entre deux chaises. Il a voulu prendre la place de Gbagbo au Front populaire ivoirien (FPI). Mais ni le Gbagbo déporté ni beaucoup d’autres dirigeants de cette formation politique n’ont accepté de le laisser réaliser son ambition. Il n’a donc hérité que d’une partie de ce parti politique. Par contre, le pouvoir en place lui a ouvert les portes, le reconnaissant comme le patron du FPI. Ce qui complique son positionnement politique.

Laurent Gbagbo était parti pour être condamné par la CPI. Il a plutôt vu ses affaires s’arranger avec le verdict de la Cours Pénale Internationale de La Haye. Relaxé en première instance, le contrôle judiciaire qui limitait néanmoins ses mouvements a même été levé. Il s’est naturellement porté candidat à la présidentielle de 2020. Sauf qu’une condamnation judiciaire en Côte-d’Ivoire dans une autre affaire l’élimine de la course à la candidature. Sans compter que Ouattara, dont il avait accepté la candidature pour la présidentielle de 2010, ne lui a même pas (encore) délivré le passeport lui permettant de regagner son pays…

Reste Soro Kigbafori Guillaume. Il a servi de porte-flingue à Ouattara pour le compte de la France qui craignait de perdre le contrôle de la Côte-d’Ivoire, pole déterminant d’influence et d’exploitation de l’Afrique de l’ouest. Il s’est souillé les mains. Comme un enfant, il a été attiré en France après avoir risqué un embastillement en Espagne. En réalité, Soro est un otage … libre. La France lui offre une grande cage pour se mouvoir autant qu’il veut. Mais il ne peut en sortir avant le dénouement de la présidentielle de 2020 dans son pays. Surtout pas pour regagner la Côte-d’Ivoire. Pire – pour lui – son activisme politique est totalement contrôlé, voire neutralisé. S’il déballe les affaires de la rébellion comme il a semblé en avoir l’intention à un moment, il se livre lui-même à la « communauté internationale » qui n’aura pas de gros efforts à faire pour lui mettre la main dessus.

Finalement, Alassane Ouattara, l’homme de la « communauté internationale » a été meilleur boulanger que le boulanger Gbagbo. Il a roulé tout le monde dans la farine. Sauf son maître, la France… Qui contrôle le jeu.