Paul Biya, la démocratie et la prospérité…

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« Un homme d’Etat a su déployer sa sagesse, sa patience, sa ténacité et rester permanemment sur la brèche jusqu’à ce que le résultat escompté soit obtenu… ». Ainsi parlait Maurice Kamto – pas encore tireur de penalties – à propos de Paul Biya, sur la gestion du dossier de Bakassi… Cet avis demeure d’une justesse et d’une hauteur que le temps ne parvient pas à altérer. Même si son auteur a, entre temps, changé de camp.

Paul Biya, tout au long des trente-huit années de pouvoir qu’il exerce au Cameroun, sans discontinuer, depuis 1982, a montré sa sagesse, sa patience et sa ténacité sur deux autres dossiers majeurs au moins aussi sensibles que celui de Bakassi.

Le premier de ces dossiers est celui de la démocratisation. Une affaire dans laquelle Paul Biya a eu un temps d’avance, dans la réflexion et dans la mise en œuvre.

Lorsque Paul Biya accède au pouvoir le 6 novembre 1982, le mot démocratie n’est pas de ceux que l’on peut prononcer sans risque dans notre pays. De façon générale, la pratique des libertés publiques (liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, liberté d’aller et de venir, etc.) est, pour dire le moins, fortement encadrée. Le Cameroun vit à l’heure du parti unique, l’Union Nationale Camerounaise (UNC). Très rapidement, Paul Biya veut redonner de l’air à ce Cameroun qui étouffe. Rencontrant la communauté camerounaise lors de sa première visite en tant que Chef d’Etat en France, il annonce des signes d’ouverture. De nombreux upécistes, en particulier, saisiront la perche ainsi tendue. Deux faits politiques majeurs – l’atteinte à la sécurité de l’Etat d’août 1983 et la tentative de coup d’Etat d’avril 1984 – ne refroidiront pas la détermination du Président de la République.

Ainsi, le parti unique voit la participation, à son congrès de Bamenda, de personnes au verbe jusqu’alors considéré comme incompatible avec la « démocratie gouvernante ». Le parti connaît ce qui ressemble alors à une mue en changeant de nom pour devenir le Rassemblement démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). En réalité, c’est une véritable révolution tranquille que Paul Biya impulse dès 1985.

En 1986, Paul Biya – dont les adversaires disent avec une délectation certaine qu’il n’anticipe jamais les événements mais qu’il les subit – est pourtant en avance sur les évolutions géopolitiques que va connaître le monde à partir de … 1989.

En 1986, Paul Biya – dont les adversaires disent avec une délectation certaine qu’il n’anticipe jamais les événements mais qu’il les subit – est pourtant en avance sur les évolutions géopolitiques que va connaître le monde à partir de … 1989. Trois ans avant, il donne un contenu réel à sa volonté affirmée de démocratiser la vie politique et d’ouvrir la vie sociale du Cameroun. Le premier tournant est le renouvellement des organes de base du parti unique ; celui-ci se déroule, fait inédit, avec des candidatures multiples. La compétition et la concurrence font rage. Résultat, près de 70% des caciques du parti – véritables statues politiques – sont proprement déboulonnées et renversées aux quatre coins du pays. Une nouvelle vague de responsables politiques prend les commandes des sections du RDPC.

En 1987, malgré un léger infléchissement de cette tendance, les élections municipales et législatives viennent poursuivre le renouvellement de la classe politique. En dépit de cela, le Cameroun fera face, comme la plupart des pays francophones d’Afrique, à une vague de protestation en vue de l’instauration du multipartisme dès 1990. La conférence nationale, véritable fétiche ouvert à tous les vents, au Bénin, au Congo Brazzaville, au Gabon ou au Zaïre ne franchira pas les frontières du

Cameroun. Plus de six mois de « villes mortes » et de désobéissance civile n’y feront rien. Paul Biya prendra plutôt l’initiative d’organiser une tripartite (pouvoir en place, partis d’opposition et société civile) sur laquelle il garde la main, en lieu et place de l’autre tripartite sur laquelle les oppositions avaient l’avantage du terrain.

Les législatives de 1992 apportent une illustration supplémentaire de l’art du contrepied de Paul Biya. En rassemblant les élus de toutes ses composantes, l’opposition est majoritaire à l’Assemblée nationale. C’est pourtant Paul Biya qui va prendre l’initiative politique et se doter d’alliances qui lui donneront la majorité au Parlement. La présidentielle d’octobre 1992, malgré la forte contestation de ses résultats, confortera l’option démocratique.

Au sortir de vingt ans d’ajustement structurel sous les fourches du Fonds Monétaire International … cheval de Troie nommé Boko Haram

La constitution de 1996, prolongement de la Tripartite, ouvre le pays à la décentralisation. Cette option forte qui donne plus de poids à la gouvernance locale (municipalités et régions) va se heurter aux résistances du centre qui y voit principalement une perte de contrôle dans la gestion des crédits. Mais surtout elle trouvera sur son chemin la crise économique et son interminable ajustement structurel. Au sortir de ces vingt ans d’ajustement structurel sous les fourches du Fonds Monétaire International (FMI) et de l’allègement de sa dette, le Cameroun peut souffler. Mais pas pour bien longtemps. Car voici que le Cameroun fait face au cheval de Troie nommé Boko Haram, après des coups à la frontière avec la République Centrafricaine (RCA). Heureusement que – une fois de plus – Paul Biya avait vu loin en réformant son armée dès 2001. Là où les armées de RD Congo, de Côte-d’Ivoire, de Lybie ou du Mali vont s’effondrer sous les assauts de « rebelles », l’armée camerounaise va tenir le front et repousser les assaillants et stabiliser la situation.

Et depuis quatre ans, c’est la sécession des deux régions anglophones du Cameroun. Cette fois encore, Paul Biya qui a répondu aux revendications corporatistes sur les systèmes d’enseignement et judiciaire abat la carte du dialogue politique. Le Grand Dialogue National confirme l’option de la décentralisation et demande sa mise en œuvre au plus vite. Face à la revendication sécessionniste, la réponse est le statut spécial pour les deux régions anglophones. Une option qui redonne à ces régions l’autonomie dans la gestion des affaires courantes, les domaines de souveraineté restant du ressort du pouvoir central.

Ce statut spécial dont bénéficient les deux régions anglophones va bientôt devenir la bouée de sauvetage des huit autres régions non plus au plan politique mais sur le terrain économique.

Et voici donc le deuxième dossier majeur. Celui de la prospérité. Les données économiques globales parlent en faveur de Paul Biya. Le produit intérieur brut était de 7,3 milliards de dollars en 1983. Il a doublé en 1993 (15,5 milliards de dollars). Avec la crise économique et l’ajustement structurel il a légèrement chuté en 2003 (14,55 milliards de dollars). Mais il est très vite reparti à la hausse en 2013 (32,35 milliards de dollars). En 2018, il tutoie les 40 milliards de dollars (38,68 milliards de dollars exactement), celui de la Côte-d’Ivoire, pays si souvent vanté par les Camerounais, étant de 43,01 milliards de dollars.

Des progrès sensibles ont été réalisés dans le domaine des infrastructures de transport. Certes, l’autoroute Yaoundé-Douala fait du surplace depuis bientôt dix ans ; certes Yaoundé-Nsimalen évolue au pas de la tortue ; mais Buea-Kumba est une réalité, de même que Obala- Nanga-Eboko, Edéa-Kribi, Yaoundé-Mfou, Yaoundé-Bertoua, Bertoua-Garoua-Boulaï-Ngaoundéré, Bamenda-Mamfé. Et, bientôt, je pourrais aller voir Ntui de ma petite enfance ou Yoko sur une route bitumée…

Les aéroports de Nsimalen, Garoua et Maroua sont aux normes internationales en plus de celui de Douala. Le port de Kribi offre la possibilité d’accueillir des navires ayant un tirant d’eau de près de quinze mètres tandis que Douala peut en recevoir de huit mètres, en permanence.

Dans le domaine de la santé, aux hôpitaux centraux de Yaoundé et de Douala (remis à niveau), sont venus s’ajouter les hôpitaux généraux de Yaoundé et Douala, les hôpitaux gynéco-obstétrique de Yaoundé et de Douala, le Centre Hospitalier de recherche et d’Application en Chirurgie Endoscopique et Reproduction Humaine (CHRACERH), l’hôpital de référence de Sangmélima. Sans compter le développement du plateau technique de tous les hôpitaux régionaux et les hôpitaux d’arrondissement dans chaque département au moins…

L’enseignement affiche un tableau des plus enviables. En 1982, Yaoundé compte trois lycées (Leclerc, Lycée Technique et Lycée Bilingue) et deux collèges (CES de Ngoa-Ekélé et Collège Bilingue d’Application). La capitale politique du Cameroun dispose d’une bonne trentaine de lycées aujourd’hui. Les écoles primaires ne se comptent plus. A l’intérieur du pays, chaque arrondissement affiche au moins un lycée.

Le niveau supérieur a connu sa révolution tranquille. L’université de Yaoundé – la seule du pays jusqu’en 1991 – a accouché de celles de Yaoundé II (Soa), Douala, Dschang, Buea, Maroua, Ngaoundéré, Bamenda. Les écoles de formations dans ces universités se sont multipliées, les écoles normales, les écoles d’ingénieur et les facultés de médecine en particulier.

Quant à l’agriculture et à l’élevage, ils font leur chemin. Les produits de rente n’ont pas connu de progression spectaculaire. Par contre, les cultures vivrières parviennent à nourrir les populations. Si l’on excepte les faiblesses du riz et du poisson dont les importations grèvent lourdement la balance commerciale du pays, le Cameroun peut se vanter de tutoyer l’autosuffisance alimentaire.

Pour ce qui est des infrastructures sportives, elles viennent de connaître une évolution remarquable, au moins pour ce qui est du football. Les stades d’Olembé et de Japoma pourraient faire la fierté de grands clubs en Angleterre, en Allemagne ou en Espagne…

Les bases de la prospérité sont donc posées. C’est sur elles que la fusée économique va s’appuyer pour son décollage. Et les régions, dont la vocation, dans la décentralisation désormais engagée, est de promouvoir le développement économique, social, culturel et sportif, vont très rapidement jouer un rôle essentiel.

Les dirigeants à venir des deux régions à statut spécial (Sud-Ouest et Nord-Ouest) vont rapidement être sous pression. Ils devront relever un défi économique à forte connotation politique : montrer aux populations et aux sécessionnistes qu’ils tiennent entre leurs mains les leviers de la prospérité. Et, surtout, produire des résultats visibles, les populations ayant des attentes très pressantes.

… avec la décentralisation, le Cameroun tient l’accélérateur de sa marche vers l’Emergence.

Paul Biya demandait à ses collaborateurs de « faire et de faire savoir ». La communication pour les régions à statut spécial sera dont un atout à valoriser. Ce qui constituera pour les populations des autres régions un moyen de pression sur leurs dirigeants si, par extraordinaire, ceux-ci venaient à somnoler. La concurrence jouera donc à plein son rôle d’aiguillon. Et la prospérité ira en se renforçant. Ainsi, avec la décentralisation, le Cameroun tient l’accélérateur de sa marche vers l’Emergence.

Et l’histoire, une fois de plus, viendra donner raison à Paul Biya. Répondant à une question sur l’image qu’il souhaite que l’on garde de lui, il disait tout simplement : « celui qui a apporté le démocratie et la prospérité ».

En sommes-nous si éloignés ?